De vocation contrariée à artiste,
comment j’ai réussi à trouver une issue favorable ?
Une vocation contrariée, c’est un peu comme courir après un train.
Courir longtemps, jamais monter dedans.
Et s’il était quand même possible de prendre le train en marche ?
Serait-ce alors, le grand départ vers une tout autre destination ?
Ou peut-être un voyage audacieux, ponctué de chemins, routes et détours ?
C’est un peu comme ça que je l’ai vécu.
J’ai tourné autour de cette vocation, qui était mon moteur, mon essence, sans jamais décider de démarrer vraiment et de tracer ma route.
Jusqu’au jour où j’ai réalisé combien cette situation était lourde, pénible, handicapante et même source de souffrances profondes.
Clairement, cette vocation contrariée a bouzillée ma vie.
On ne peut pas imaginer les impacts d’une vocation contrariée, et parfois nous l’occultons.
Mais quand j’en ai pris conscience vraiment, j’ai constaté combien les conséquences étaient lourdes et importantes dans ma vie, sur plusieurs plans. Mental, émotionnel, psychologique…
Seulement, il n’est pas toujours de bon ton d’en parler, sous peine de passer pour une pleurnicharde ou une victime impuissante et consternante.
Serait-il alors pertinent de n’en parler qu’à des personnes averties, qui elles, peuvent comprendre ?
Personne ne peut savoir ni comprendre ce que je vis, si elle n’a pas vécu elle-même une situation similaire…
Aujourd’hui, j’ai envie de raconter mon histoire, en espérant qu’elle puisse toucher bon nombre de personnes, qui n’oseraient parler ou se dépêtrer de leur situation. Parce que ce genre de situation est lourde de conséquences, certes, mais elle n’est pas irréversible.
De vocation contrariée à artiste, comment j’ai réussi à trouver une issue favorable ?
Tout a commencé par une scolarité compliquée
* A L'ÉCOLE PRIMAIRE
J’avais 8 ans. Mes parents venaient d’emménager dans un village. Les enfants n’étaient pas du tout d’accord avec mon arrivée dans ce village et à l’école. Parce que je venais du département voisin, 7km, ils m’ont rejetée, insultée, agressée.
C’était très compliquée de passer toute la journée à l’école dans ces conditions. Parfois même insidieux. Je me souviens d’une fois où une fille, dont je tairais le nom, devenait agréable avec moi, minaudant presque, pour d’un coup, me foutre une claque dans la gueule en me disant « tu crois quand même pas que je vais être copine avec toi ?».
Je n’ai pas compris. J’ai cherché quoi faire. J’ai pleuré souvent.
Aucune solution ou explication concrète ne me fut proposée par les adultes, parents et instituteurs. Une difficulté supplémentaire. Si les adultes ne savaient pas comment régler cette situation, comment moi, petite fille de 8 ans le pouvais-je ?
Pourtant, une perspective se dessina à moi. Des couleurs. Plein de couleurs. Des encres, des stylos, et tout ce qui me tombait sous la main, réveillèrent mon âme d’artiste, embrumée par le rejet. J’expérimentais alors les couleurs sur différents supports. Des enveloppes devenaient de véritables chefs-d’œuvre. Sûrement pas agréées par la poste, mais cela comblait mon imaginaire, quitte à éclabousser la tapisserie de ma chambre. Ce n’était pas du goût de mes parents, évidemment. Mais moi, j’avais trouvé un refuge sécurisant.
Dans ce village hostile. Dans cette maison. J’y mettais de la couleur parce que tout était gris autour.
D’ailleurs je me souviens que ma mère ne voulait pas acheter cette maison. Mais Monsieur le père en avait décidé autrement. Marre de chercher, alors, aux oubliettes la jolie maison avec un grand jardin et un saule pleureur. Trop d’entretien ! Ce serait cette maison-là. ***Un père narcissique, je le comprendrais plus tard.
Finalement, est-ce qu’un autre endroit aurait été mieux ? Je n’en sais rien. Mais aujourd’hui, j’en suis persuadée, je devais vivre ce rejet, je porte cette blessure…
* ARRIVÉE AU COLLÈGE
C’était pas mieux. Les autres élèves se moquaient de moi, notamment de mes tenues vestimentaires. J’étais malmenée. D’un côté, ma mère avait à cœur de bien m’habiller, et m’achetait des vêtements qui m’allaient bien, me disait-elle ; et d’un autre, les élèves se foutaient de ma gueule parce que je n’étais pas habillée comme eux. C’était paradoxal et incompréhensible. Je n’étais pas acceptée, et c’était dur.
Fragile et sans défense. Je ne savais pas comment faire face.
Puis, un jour, je me suis fait une amie. Face aux moqueries toujours présentes, j’ai découvert une force imparable. L’amitié. Je ne savais pas ce que c’était auparavant. Affinités, complicité, rigolades, passe-temps, soutiens et présences dans les joies et les peines. J’en garde un très bon souvenir.
* LE LYCÉE
Hors de question de suivre la voie scolaire géographique habituelle. Me retrouver avec tous ces collégiens persécuteurs ? Non merci. Choix est fait pour un lycée, dans une grande ville. Mon père pensait sans doute m’en dissuader avec la seule option pour y aller. Faire du russe ? Qu’à cela ne tienne !
Je suis donc allée dans ce lycée. Une cité scolaire importante. Au moins, ici, je n’étais pas moquée. Ni insultée, ni agressée. Je trouvais une forme de liberté. Même si j’étais dans un internat, et que l’emprise de mes parents étaient palpable (je ne savais pas la nommer à l’époque), j’ai fait de belles rencontres.
A l’internat, je côtoyais des copines qui étaient en Arts Plastiques, et je m’enthousiasmais de voir leur travail, de regarder tout le matériel, les couleurs. C’était mon domaine de cœur. C’était une évidence. C’était ce qui animait ma vie.
Maintenant que j’avais réussi à être dans ce lycée, peu importe l’option choisie, je pouvais bifurquer de voie ! Allez, je ferais Arts plastiques ou Arts et Lettres, l’année prochaine !!
Enfin, c’est ce que je croyais.
Jusqu’au jour où j’ai fait le choix le plus difficile et le plus lourd de conséquences.
Suivre le choix de mon père. Suivre sa raison, pas du tout raisonnable, plutôt que mon cœur, enthousiaste et passionné.
Mon père m’a dissuadé de suivre les études artistiques que j’envisageais. Il a même incité 2 personnes à démolir mon merveilleux projet. Et elles l’ont fait… Comment est-il possible de détruire les rêves d’une adolescente ? De lui montrer le côté noir des choses ? D’appuyer sur ses failles pour lui faire comprendre que ça sera difficile, compliqué voire impossible ?
Bien sûr que les études artistiques n’auraient pas été faciles ! Comme n’importe quelle étude ! L’apprentissage en soit est parfois laborieux, même quand on a les aptitudes. Il faut fournir des efforts, se donner du temps, montrer de l’engagement, même si on en tire du plaisir et de la satisfaction. L’apprentissage est un passage.
Bon, j’ai abdiqué. La manipulation était fine et insidieuse.
J’ai donc passé un bac commerce, pour rassurer Monsieur le Père, pour qui la sureté était préférable à une vie de saltimbanque (mot péjoratif dans sa bouche pour désigner TOUS les artistes). Et pour l’entendre me dire quelques années plus tard, que je n’étais pas faite pour le commerce.
S’il n’avait pas été mon père, je n’aurais pas maché mes mots « pauvre con, tu pouvais pas me le dire avant ? »
J’en ai longtemps voulu à mon père. Et je m’en suis voulu à moi aussi de ne pas avoir suivi les études qui me passionnaient et faisaient vibrer mon cœur. J’ai longtemps gardé de la colère face à cette situation.
La période professionnelle cahin-caha
* BOULOTS
MAIS, je n’ai jamais abandonné l’art. Ou c’est l’art qui ne m’a jamais quitté !
J’ai toujours écouté mon cœur, enthousiaste et passionné à suivre la passion de la création.
Mais je n’ai eu que des boulots ennuyeux, monotones, lassants. Bref, ce n’était pas le grand kif. J’ai même fait face à ce qui s’appelait à l’époque du « harcèlement moral », avec un patron certes très cultivé, mais alors une vraie tête de con, très cyclothymique. J’ai beaucoup appris avec lui, mais j’en ai chié…
Tout ça pour dire que les boulots que j’ai eu n’étaient pas rigolos. Malgré tout, j’essayais toujours d’y mettre une pointe de créativité. Je ne pouvais pas m’en empêcher ! J’arrangeais l’endroit où je travaillais pour qu’il soit plus beau ou agréable. J’ajoutais un peu de création ou de présentation dans des documents même si cela n’était pas nécessaire. Je créais même des documents pour des collègues qui ne réclamaient rien, mais travaillaient avec des brouillons tout moches qu’elles refaisaient chaque jour.
J’ai passé des années professionnelles insipides, face à l’immense bouillonnement créatif qu’appelle toute forme d’art !
* FORMATIONS
Mais, en parallèle de ces jobs barbants, je me suis formée toute seule, pour combler cette soif créative débordante. J’ai appris le dessin, la peinture à l’huile. Avec des magazines. En expérimentant par moi-même. Je touchais aux couleurs. Je les mariais, les associais. Je jaugeais le résultat, et recommençais pour créer de l’harmonie.
J’ai suivi aussi des formations, à la fois créatives et utiles. Infographie et mise en page, peinture sur meubles, et plus récemment décoration.
Mais je me suis rendu compte que j’étais tiraillée entre art et utilité. Je galérais tout le temps à essayer de trouver des compromis. Il me fallait trouver du sens et de l’utilité à ma créativité. Sinon, elle n’était pas acceptable (merci le schéma parental). Tout travail ou formation devait comporter une part de créativité (pour me satisfaire) et une part utile (pour rester conforme aux yeux de ma famille même si j’étais adulte). Tout ceci étant complétement inconscient mais terriblement pénible à vivre, jusqu’à ce que je le découvre il y a juste quelques années, au cours d’une séance de coaching.
J’ai passé comme ça, une trentaine d’années à laisser ma créativité s’exprimer timidement. Jonglant avec les possibilités professionnelles et artistiques. Sans me satisfaire vraiment. Sans perspective.
De vocation contrariée à artiste,
comment j’ai réussi à trouver une issue favorable ?
La perspective je l’ai trouvé en suivant ma formation en décoration.
A la suite d’un événement inattendu et douloureux, j’ai décidé de reprendre le cours de ma vie, de faire ce qui m’avait toujours plu. Un état de conscience vertueux. Un déclic.
Après de nombreux détours, j’ai abandonné les routes et les sentiers qui ne m’emmenaient nulle part et me faisaient tourner en rond. J’allais enfin suivre le chemin qui était le mien.
Au moins, la perspective avait son point de fuite !
J’ai repris en parallèle de cette formation, les bases du dessin et de la perspective. J’ai creusé aussi le sujet des couleurs dans une voie inhabituelle pour les artistes.
Cette formation a été un véritable déclencheur. Je me suis repositionnée plus clairement dans ma vie professionnelle. Même si j’avais encore suivi l’alliance créativité et utilité.
Aujourd’hui, j’assume enfin l’artiste que je suis. Je laisse se déployer toutes mes compétences, mes talents et ma singularité. Je me sens plus détendue. Non pas parce que les années ont passées, mais surtout parce que j’ai fait un gros travail émotionnel, énergétique et psychologique depuis des années.
Ce que j’ai mis en place
1 . FACE AU REJET
Je crois que mon âme d’artiste s’est réveillée quand j’ai été rejetée à l’école. Elle a pris le relais sur les difficultés, et ne m’a jamais lâchée. C’est pourquoi j’ai trouvé refuge dans mon imaginaire avec les couleurs, un moyen sécuritaire de faire face aux événements.
Quoi qu’il en soit, je porte les traces indélébiles de ce rejet, et cette blessure est là, même si elle est moins présente, peut se réactiver à tout moment.
C’est un peu comme une caractéristique, un signe distinctif, une marque de fabrique finalement.
Mais faut-il que je la meurtrisse davantage ou que je la soigne avec compassion et douceur ?
J’ai choisi de lui accorder une attention particulière, sans virer à l’obsession, mais de la reconnaitre, et de voir en cette blessure, une force.
2 . FACE A LA VOCATION CONTRARIÉE
Peu importe les situations de ma vie, l’art et les couleurs m’ont toujours suivie. De façon plus ou moins claire et prononcée.
A des boulots qui ne me plaisaient pas du tout, aux prises même à du harcèlement professionnel, j’ajoutais un peu de fantaisie, de couleurs ou de créativité. Ou je trouvais des moments pour pratiquer et apprendre dessin et peinture. Pour que ma vie soit plus acceptable.
Je pense qu’occulter sa vocation ou sa passion, c’est foncer droit dans un mur sans aucune protection. C’est véritablement courir à une catastrophe psychologique, et oublier une partie de soi.
J’ai choisi de :
reprendre contact avec mon être,
reconnaitre ma vocation et
la laisser prendre la place qui lui revient.
Ce sont les pistes que j’ai exploré ces dernières années pour assumer qui je suis et redonner du sens à ma vie.
Mais surtout, je me suis fait confiance. J’ai fait confiance aussi à des personnes ayant vécu la même situation, elles seules peuvent réellement comprendre ce que j’ai vécu, et m’aider.
Et comme me disait une amie avec une résonnance bienveillante :
« Ce qui te fragilise, te rends plus fort »,
contournant ainsi la célèbre citation de Nietzsche.